C’est un article un peu différent de ce à quoi nous vous avons habitués que nous publions aujourd’hui. Notre mission d’organisation de sorties scolaires pour les jeunes issus de milieux défavorisés de la métropole lilloise nous a fait nous sentir intimement concernés par le sujet. Cet article résume la situation de manière dépassionnée, et donne plus d’éléments de réflexion qu’il ne prend parti.
Mais que s’est-il passé ?
Vendredi 11 octobre 2019, une mère voilée accompagne une classe de CM2 au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté à Dijon. Ce sont les paroles de Julien Odoul, un élu du Rassemblement National, qui ont fait polémique. Filmé, il lance à l’intention de Marie-Guite Dufay, qui dirige la séance, et de l’accompagnatrice voilée : « Nous sommes dans un bâtiment public, nous sommes dans une enceinte démocratique, Madame a tout le loisir de garder son voile chez elle, dans la rue, mais pas ici ! ». La vidéo de cette intervention est postée sur les réseaux sociaux, et devient virale.
Les médias s’emparent de la polémique pendant plusieurs jours. Le débat s’embrase.
Sur la scène politique, les Républicains se mettent rapidement d’accord pour proposer une loi interdisant le port de signes religieux en sortie scolaire, proposition adoptée par le Sénat le mardi 29 octobre. Il faut cependant préciser que cette loi doit maintenant être adoptée par l’Assemblée Nationale, ce qui semble compliqué, puisque la majorité présidentielle s’est en grande partie positionnée contre. Finalement, le 10 novembre, 13 500 personnes marchent à Paris contre l’islamophobie, suscitant les controverses.
Affaire de Creil de 1989 : là où tout a commencé
Le débat autour du port du voile refait surface depuis octobre. Il convient de revenir sur les événements qui ont, réellement, lancé cette polémique. En septembre 1989, à Creil, dans l’Oise, deux jeunes filles cessent de fréquenter le collège Gabriel Havez après que le principal du collège s’oppose au port de leurs voiles dans l’enceinte de l’établissement. Rappelons qu’à cette date, aucune loi n’interdit le port de signes religieux dans les établissements scolaires. La seule loi en vigueur est la loi sur la laïcité de 1905.
Après cette affaire de Creil, les événements s’enchaînent, et plusieurs jeunes filles portant le voile se voient refuser l’inscription ou sont exclues de différents établissements scolaires en France. Le 23 octobre, les prises de position autour du débat se multiplient : des citoyens descendent dans la rue pour protester contre l’interdiction du port du voile à l’école. Dès le lendemain, c’est la déferlante médiatique autour du sujet. Le sujet fera la une des journaux durant une semaine. Une action isolée contre une pratique musulmane, une marche de soutien contre l’islamophobie en réaction, un emballement médiatique dans la foulée, ça nous ne vous rappelle rien ? Non, non, les deux premiers paragraphes de cet article sont bien différents. Et pourtant, on dirait qu’on a juste changé les dates… Mais il nous manque un projet de loi ici non ? Bien vu, et on y vient.
Le tournant : la loi de 2004
Les cas d’exclusion de collèges ou de lycées publics de jeunes filles portant le voile sont nombreux entre 1989 et 2003, une centaine environ. Le problème résidait dans le fait que les chefs d’établissements pouvaient, au nom de la loi de 1905, s’accorder le droit de faire exclure des élèves qui selon eux, portaient atteinte à la laïcité. La gestion des conflits entre jeunes filles portant le voile et chef d’établissement se faisait alors au cas par cas. Est-ce que porter le voile à l’école signifiait porter atteinte à la laïcité ? Personne ne savait vraiment.
C’est Lionel Jospin qui, dès le début du débat en 1989, tente de clarifier le problème en expliquant que le port du voile islamique en tant qu’expression religieuse dans un établissement scolaire publique est compatible avec la laïcité. Il rappelle qu’une exclusion ou un refus d’admission dans le secondaire « ne serait justifié que par la menace pour l’ordre dans l’établissement ou pour le fonctionnement normal du service de l’enseignement ».
La situation demeurant néanmoins trop floue, Jacques Chirac tente de mettre fin au débat, et propose une loi qui veut explicitement interdire tout signe religieux dans les établissements scolaires au nom de la laïcité. La loi est votée en mars 2004, et est d’ailleurs souvent appelée « la loi de 2004 ».
En 2012, la circulaire de Luc Chatel étend le domaine, puisque qu’elle permet aux conseils d’écoles de refuser les femmes voilées en sorties scolaires. Il ne s’agit pas d’interdiction mais de possibilité d’interdire.
On a déjà des lois sur le sujet, alors quel est problème ?
Le texte de loi a été critiqué dès sa parution et a été accusé d’un manque de cohérence globale. En cause, des formulations parfois jugées contradictoires comme « l’école a pour mission de transmettre les valeurs de la République parmi lesquelles l’égale dignité des êtres humains » et « la neutralité du service public est un gage du respect de l’identité de chacun ».
La manière dont ces lois sont mises en place et peuvent être interprétées pose question. Finalement, c’est le passage : « en protégeant l’école des revendications communautaires… » qui est au coeur du débat, certains l’accusant de projeter sur le voile des peurs infondées. Finalement c’est une solution plus stricte que la circulaire Chatel qui a été proposée et validée au Sénat, puisqu’on parle d’interdiction totale du port du voile en sortie scolaire.
France et Islam : je t’aime, moi non plus
Évidemment, le problème n’est pas nouveau et peut être rattaché à une question identitaire qui se pose depuis longtemps. La France peine à définir son identité par rapport au monde musulman, problème qui pourrait dater de l’époque coloniale. C’est ce que défend Philippe Portier – politologue titulaire de la chaire « Histoire et sociologie des laïcités » – dans une interview accordée à France 24. Selon lui, alors que le colonisateur britannique tendait plutôt à respecter les coutumes musulmanes, le colonisateur français a souvent imposé leur vision métropolitaine. C’est, en partie, ces raisons historiques qui expliqueraient les crispations autour de l’Islam aujourd’hui en France, problématique bien moins importante au Royaume-Uni.
Vous l’aurez compris, le sujet divise. Nous vous encourageons à vous intéresser, à vous renseigner pour vous former une opinion sur cette question qui enflamme le débat public.