La liberté d’expression : le rôle de l’école face à l’explosion des formes de communication

Avant toute chose, cet article n’entend pas prendre parti. Il fait suite aux récents évènements de 2020 dont l’assassinat de Samuel Paty et le débat sur la place de la liberté d’expression dans la société que cet attentat a relancé. Plus spécialement, quelle est la place de l’école dans ce débat ? Nous veillerons dans cet article à nous appuyer sur des faits et sur les principes de la République française exclusivement. 

Le 16 octobre 2020, l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine conduisait à l’assassinat du  professeur d’histoire-géographie Samuel Paty. Il faisait alors son devoir d’enseigner la liberté  d’expression à ses élèves, en leur présentant les caricatures de Charlie Hebdo. Celles-ci, controversées mais représentatives d’une liberté d’expression bien française, avaient conduit en 2015 à l’attentat de Charlie Hebdo. 

Ces caricatures, qu’on les approuve ou non, permettent selon leurs défenseurs de faire comprendre que dans notre pays, nul ne doit être inquiété pour ce qu’il dit ou ce qu’il pense. 

Au lendemain de l’assassinat, a été relancée dans le débat public la question d’une liberté d’expression mourante que de moins en moins comprennent.

Qu’est-ce que la liberté d’expression, d’où vient-elle et comment se fait la différence entre liberté  d’expression et injure ?  


« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi »

Article dixième de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen

Telle est énoncée, depuis 1789 dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, la liberté d’expression, principe fondamental des textes fondateurs de la République française.  

Les conditions d’application de cette liberté sont ensuite complétées  dans l’article XI de la Déclaration : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus  précieux de l’homme, tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de  cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » C’est donc la loi qui en fixe les bornes. Celles-ci différencient liberté d’exprimer ses idées aussi controversées soient-elles, et injure, c’est-à-dire les actions ou procédés conduits par une personne et qui offensent une autre.  

On comprend alors le cadre précis dans lequel cette liberté est édictée. Mais si la liberté d’expression anime les citoyens français depuis 1789, et qu’elle est énoncée si clairement, pourquoi vacillerait-elle maintenant ?

L’explosion des modes de communication et le paradoxe de l’appauvrissement de la liberté d’expression 

L’ouverture d’Internet au public dès le milieu des années 2000 et l’arrivée des réseaux sociaux a donné une portée publique à la parole de chacun. Si cela peut sembler représenter une grande avancée pour la liberté d’expression, la réalité est peut-être plus contrastée.

En effet, la liberté d’expression s’est démocratisée. Tout le monde peut écrire librement sur les réseaux sociaux, sans que l’on sache qui écrit et sans réellement être atteint pour ce que l’on dit . Mais sort-on réellement de notre zone de confort sur les réseaux sociaux ? Si l’on rejoint telle ou telle page, est-ce pour son contenu qui nous plaît et dont on partage les idées, ou vraiment pour ce qu’on y découvre ? 

Un mauvais effet d’Internet serait en effet de regrouper des individus qui ont les mêmes  idées. Que l’on trouve ces idées bonnes ou mauvaises, ce regroupement pousse, c’est vrai, à l’abondance d’expression, mais l’expression en ressort uniformisée puisque personne ne critique personne. Tout le monde pense la même chose et les idées, jusqu’aux plus grotesques, sont souvent approuvées sans résistance. Cela complique nettement l’instauration de véritables débats.

Poursuivons avec un exemple. Les réseaux sociaux ont permis de réunir des millions de personnes qui pensent que la Terre est  plate : les « platistes ». Ces personnes sont convaincues d’une information bien évidemment fausse depuis  qu’Eratosthène a démontré vers 230 avant JC que la Terre était ronde. Mais sur les groupes Facebook des  platistes, on trouve justement des platistes, et non des physiciens. Puisque les platistes sont en majorité, ils pensent que ce qu’ils font et que ce qu’ils disent est juste. Personne ne les contredit. Paradoxe : on parle plus et avec plus de monde, mais ce que l’on dit est moins intéressant pour le développement de la société. 

L’autre souci éventuel des réseaux sociaux est l’anonymat des personnes. Les utilisateurs sont difficilement soumis à la loi. Pourtant, comme nous l’avons vu plus haut, c’est la loi qui est censée fixer les limites entre liberté d’expression et injure. Mais la justice a un temps de retard sur les réseaux sociaux. Les limites entre liberté d’expression et injures y sont floues et conduisent rarement à l’intervention de la justice. 

Par exemple, Karine Lacombe, infectiologue française, a fait l’objet d’insultes violentes sur les réseaux sociaux pour s’être opposée au Professeur Raoult. Même si elle a porté plainte contre les personnes à l’origine de ces insultes, leur anonymat rend difficile l’application de la loi. Mme Lacombe déclarait s’être sentie obligée de revenir sur les réseaux sociaux, pour continuer d’appliquer son droit à la liberté d’expression.    

Il y a donc sur les réseaux sociaux un flou sur la limite entre l’injure et la libre expression. Ensuite, il y a l’incapacité de la justice sur les réseaux sociaux et leurs utilisateurs insaisissables. Il y a enfin la démonstration de l’agressivité de certains qui se sentent puissants car encouragés par leurs groupes.

Les réseaux sociaux, sources d’une déstabilisation de la liberté d’expression ?

Les groupes sur les réseaux sociaux peuvent donc encourager l’intolérance, l’absence de débat, la réduction au silence de ceux qui ne pensent pas comme eux. En clair, ils peuvent contribuer à fragiliser la liberté d’expression. 

Les réseaux sociaux révolutionnent donc en bien comme en mal les interactions et pourraient expliquer pourquoi la liberté d’expression est aujourd’hui plus fragile que jamais.  

La nécessité de la liberté d’expression dans la société démocratique.  

Comme Tocqueville l’écrit dans De la Démocratie en Amérique, ce n’est que par la diversité de la parole que la démocratie prospère. Seule l’expression des idées individuelles, partagées avec chacun de manière indépendante, permet au système de fonctionner. C’est cette diversité des idées qui rend le système fonctionnel.   

C’est cela même que la liberté d’expression défend. Cette liberté permet d’avoir des idées controversées peut-être, mais elle s’élève contre le totalitarisme. Car sans la liberté d’expression, si nul ne pouvait dire ce qu’il voulait, alors il dirait ce que l’on veut qu’il dise, ou peut-être ne dirait-il rien. La parole de chacun s’enfermerait dans la banalité, ou dans le silence

Aussi, sans ce droit fondamental qu’est la liberté d’expression, celui qui parlerait plus fort que les autres parviendrait à endoctriner la foule, et alors la démocratie ne serait plus.  Quoi que l’on dise, quoi que l’on fasse, le plus fort entouré de ses marionnettes sans paroles prendrait des décisions sans rendre de comptes.

La liberté d’expression est nécessaire aux démocraties comme le rappelle la Déclaration des Droits de  l’Homme et du Citoyen de 1789. Sans elle, le despotisme s’installe, avec elle, la diversité apparaît. La diversité oppose par des débats, et le résultat de ces débats fait la société de demain. 

Qu’importe qu’untel ait des idées dérangeantes, ses idées ne valent pas plus que celles d’un autre, pas plus que les nôtres, pas moins non plus. Si elles dérangent tant, elles ne seront pas retenues par le débat public et alors l’on peut aussi bien en faire abstraction. Mais ces paroles, aussi dérangeantes soient-elles, demeurent  nécessaires au débat public.

L’éducation, clé de la lutte contre la désinformation, clé de la lutte pour la liberté d’expression

Comment faire pour trouver un équilibre entre laisser les gens s’exprimer librement, et combattre la désinformation et la menace démocratique ? Comme nous l’avons vu, on ne doit pas juguler la parole des hommes, sinon le principe de liberté d’expression n’aurait pas de sens. Mais alors comment faire ? La clé de tout cet édifice reposerait-elle sur l’éducation ? La défense contre l’information frauduleuse, la constitution d’une parole vraie, d’une parole propre ? Ce procédé peut-il avoir lieu ailleurs qu’à l’école ?  De façon concrète, pour suivre les idées de Tocqueville, il nous faut former les Hommes à parler librement avant qu’ils ne puissent être formatés par les groupes des réseaux sociaux. 

L’école, lieu de développement du sens critique, de la parole et des idées ?

C’est pour cela qu’il est si important d’aborder en cours l’argumentation, la notion de liberté d’expression, les attentats de Charlie Hebdo. C’est pour forger l’opinion de nos enfants, les obliger à penser d’eux même, à se sentir confortés dans l’idée que dire ce qu’ils pensent, sans l’imposer aux autres, est l’essence même de notre système politique.   
Le gouvernement, dans le cadre de la lutte pour la liberté d’expression, a mis en place une série de mesures visant à mieux prendre en compte la liberté d’expression dans l’éducation.

Notamment, la plate-forme EDUSCOL qui regroupe des documents pédagogiques a été complétée de lettres ouvertes d’organismes de presse au sujet de la liberté d’expression qui condamnent les attentats. Une série d’autres ressources gratuites et consultables a également été mise en place.   

Des possibilités de procédures d’« atteinte à la laïcité » ont  également été mises en place par le Ministère de l’éducation nationale pour les professeurs. On parle également de renforcer les cours sur les droits et devoirs des citoyens français pour les prochains programmes. 

Ainsi, la liberté d’expression est fondamentale et s’apprend dès le plus jeune âge. Elle est nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie. Sa fragilisation en raison du développement rapide de la société et des nouveaux réseaux sociaux devrait être prévenue à chaque niveau, aussi bien sur le plan éducatif, que sur des points tels que la nécessité de l’application de la loi en ligne et de l’utilisation raisonnée des réseaux sociaux.

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